Si un journal libanais publie une caricature du prophète, il sera déféré devant la justice - Matthieu KARAM - L'Orient-Le Jour

Si un journal libanais publie une caricature du prophète, il sera déféré devant la justice - Matthieu KARAM - L'Orient-Le Jour
Du 14-1-205-Si un journal libanais publie une caricature du prophète, il sera déféré devant la justice

Alors que la presse internationale est divisée sur le fait de publier ou non des caricatures du prophète, le débat est tranché au Liban : aucun média n'a publié, en gros plan du moins, la une de l'édition du jour de Charlie Hebdo. Le magazine lui-même n'est pas disponible au Liban.

Pour son premier numéro depuis l'attaque meurtrière perpétrée mercredi dernier contre la rédaction, le magazine satirique a publié en une une caricature du prophète, sur fond vert, couleur de l'islam. Mahomet, la larme à l'œil, porte une panneau sur lequel est écrit "Je suis Charlie", son visage étant surmonté du message "Tout est pardonné".

Si un organe de presse libanais avait publié cette une, cela "n'aurait pas échappé" à la censure, affirme une source haut placée au sein du bureau censure de la Sûreté générale (SG). "Toute atteinte à la religion et à sa dignité est censurée", affirme-t-elle à L'Orient-Le Jour.

(Dans le décret-loi n° 2 873, promulgué le 16/12/1959 et notamment son article 9 relatif à la direction de surveillance des imprimés, il est indiqué que la censure agit notamment sur base du respect des sentiments et des sensibilités des citoyens, et pour éviter d'attiser les dissensions racistes et religieuses et que des indications d'application ont été adoptées pour organiser la censure et apporter des éclaircissements aux principes mentionnés dans les lois en vigueur notamment en ce qui concerne ce qui nuit aux religions et appelle à l'adoration de Satan) Plus d'informations ici

Que serait-il arrivé si un organe de presse libanais avait décidé de publier la une de Charlie Hebdo sur laquelle figure une caricature du prophète ? "L'organe en question aurait immédiatement été déféré devant le tribunal des imprimés afin d'analyser le dossier", précise la source qui souligne que des sanctions pouvant aller jusqu'à la "fermeture" de l'organe peuvent être envisagées. "La décision finale revient au ministre de l'Intérieur", précise néanmoins la source.

Pour Ayman Mehanna, directeur de l'ONG SKeyes pour la liberté de la presse, tout est question d'interprétation. "La loi sur les imprimés interdit la publication de ce qui incite à la discorde confessionnelle et porte atteinte à la religion ou au culte. Le code pénal interdit également tout ce qui porte atteinte à l'entité divine, explique-t-il. A partir de là, tout est ouvert à interprétation". 

"Des peines de trois à six ans de prison"

Pierre el-Khoury, professeur et avocat spécialisé en droit des médias et des nouvelles technologies, rappelle lui que la liberté d'expression et de la presse est inscrite dans la Constitution libanaise (Art. 13 "La liberté d'exprimer sa pensée par la parole ou par la plume, la liberté de la presse, la liberté de réunions et la liberté d'association sont garanties dans les limites fixées par la loi").

En matière juridique, les organes de presse écrite tombent sous le coup de la loi sur les imprimés, qui date du 14 septembre 1962, à laquelle sont venus s'ajouter certains textes de lois, dont le décret-loi 104 du 30 juin 1977 sur les imprimés qui énumère les "interdictions de publier".

Dans l'affaire des caricatures, en cas de publication d'un dessin représentant le prophète, certains pourraient invoquer une atteinte aux bonnes mœurs, une diffamation, une atteinte à l'ordre public, précise Me Khoury.

La diffamation, la calomnie et l'injure sont listés dans l'article 20, chapitre 5 de la partie 1 de la loi sur les imprimés, avec des peines prévues de 3 mois à un an de prison. Dans l'article 75 du chapitre 2 de la partie 3, il est écrit que les marchands de journaux n'ont pas le droit de proposer un contenu contraire aux bonnes mœurs ou portant atteinte au sentiment national ou religieux ou à l'union nationale.

Dans le décret-loi 104, il est stipulé que l'injure et la diffamation sont considérées comme particulièrement graves si elles ont pour objet les ministres, les membres du Parlement, les fonctionnaires et les groupes de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance à une ethnie, race ou religion. Le décret-loi 104 prévoit également une peine de détention préventive dans les cas concernant l'atteinte à la dignité du président de la République par la diffamation, l'injure ou l'outrage ou tout ce qui peut constituer un outrage envers les religions et troubler la paix publique ou susciter des dissensions confessionnelle. (source : rapport sur la censure au Liban établi en mars 2003 par l'ONG Nouveaux droits de l'homme au Liban, qui a un statut consultatif auprès des Nations Unies)

L'affaire de la publication peut également tomber sous le coup de l'article 473 du code pénal libanais qui réprime le blasphème public du nom de Dieu, et l'article 474 qui punit l'outrage public à l'un des cultes célébrés en public ou l'incitation au mépris de ces derniers.

Ces articles ont été invoqués à plusieurs reprises dans le cadre de plaintes contre le virtuose libanais du oud, Marcel Khalifé. Ce dernier a été poursuivi en 1996, 1999 et 2003, pour sa chanson Je suis Joseph, Oh Père, écrite par le poète palestinien Mahmoud Darwiche, rappelle M. el-Khoury. M. Khalifé était accusé d'insulter les valeurs religieuses en incluant deux lignes de versets d'un chapitre du Coran. Le procureur reprochait à l'artiste d'"insulter les valeurs religieuses en utilisant un verset du Saint Coran sur Joseph dans une chanson". Le chanteur et compositeur risquait entre six mois à trois ans de prison pour insulte publique de la religion (article 474 du Code pénal libanais) et un mois à un an de prison pour blasphème (article 473 du Code pénal). Ghada Abou Karroum, la juge chargé du procès, avait rejeté la demande du procureur, et déclaré le chanteur innocent.

En rupture de stock à travers la France quelques heures seulement après avoir été massivement distribué dans les points de vente, le premier numéro post-attentat de Charlie Hebdo n'est pas disponible au Liban, a confirmé à L'Orient-Le Jour un responsable au sein de la société Messageries du Moyen-Orient de la Presse et du Livre (MMO), qui importe notamment des titres de la presse étrangère. "Nous n'avons pas le titre dans nos commandes. Nous avons contacté l'éditeur de l'hebdomadaire, mais celui-ci n'avait aucun numéro prévu à l'export à destination de Beyrouth", indique la source au sein des MMO. Les Messageries n'ont d'ailleurs jamais importé de "Charlie Hebdo" à destination du marché libanais, et ce en raison du "faible rendement" du journal avant l'attentat, ajoute la source. Propos confirmés par la source au sein de la Sûreté générale, qui affirme n'avoir jamais enregistré d'entrée de numéros de Charlie Hebdo au Liban.

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